POLYNEVRITES ET MULTINEVRITES
DEFINITION
polynévrite: atteinte symétrique et synchrone de la partie distale des fibres nerveuses périphériques, souvent les plus longues. La polynévrite échappe aux systématisations tronculaire ouradiculaire.
Multinévrite: atteinte asymétrique et asynchrone de plusieurs troncs nerveux au cours d'une affection générale, dont le mécanisme est une ischémie locale.
INTERET
Les polynévrites et multinévrites posent des problèmes très différents selon que leur cause est connue ou ignorée. Dans un cas, il s'agit de la complication attendue d'une maladie générale ou d'une hérédopathie.
Dans l'autre cas, il faut rechercher avec acharnement une étiologie, seul moyen d'obtenir une thérapeutique efficace. La présentation clinique joue un rôle primordial dans cette enquête souvent difficile.
PHYSIOPATHOLOGIE
La tendance actuelle est de remplacer les termes classiques: celui depolynévrite par polyneuropathie, celui de multinévrite par mononeuropathie multiple. Il est nécessaire de définir ces termes:
- mononeuropathie: atteinte tronculaire isolée, le plus souvent d'origine mécanique.
- polyradiculonévrite: atteinte diffuse plurifocale, de la racine à l'extrémité, de répartition inhomogène, le plus souvent pardémyélinisation inflammatoire.
Le type lésionnel doit aussi être précisé:
- myélinopathie: la démyélinisation est homogène ou non selon l'étiologie,
- axonopathie: la dégénérescence rétrograde affecte les fibres les plus longues et de plus gros diamètre, à partir de l'extrémité distale des membres,
- neuronopathie: atteinte globale du neurone intéressant le corps cellulaire et son prolongement périphérique.
CIRCONSTANCES DE DECOUVERTE
a) Troubles sensitifs: les plus précoces
Ce sont desparesthésies à type de fourmillements, ou d'une sensation d'engourdissement. Les douleurs quand elles existent prédominent la nuit et sont décrites comme une impression debrûlure ou de broiement parfois atroces.
- L'examen caractérise le trouble sensitif: topographie tronculaire ou distale, à tous les modes ou simplement proprioceptive ou thermo-algique.
b) Troubles moteurs, parfois précédés de crampes nocturnes
Le déficit prédomine sur un secteur musculaire: aux membres inférieurs, c'est la loge antéro-externe avec steppage, auxmembres supérieurs les intrinsèques de la main. A terme, uneamyotrophie apparaît.
c) Troubles réflexes
Les achiléens, distaux, sont abolis en premier. Les autres réflexes ostéo-tendineux suivent l'extension de la névrite.
d) Troubles trophiques
Ils sont le plus souvent discrets: dépilation, sécheresse cutanée, troubles vasomoteurs. Dans certains cas, ils deviennent suffisammentimportants pour aboutir à des maux perforants, des mutilations et desarthropathies neurogènes.
+ Troubles dysautonomiques
Le diabète et l'amylose connaissent de fréquents troubles dysautonomiques.
Au terme de l'examen clinique et dans un but de diagnostic étiologique, il faut essayer de:
- affirmer la neuropathie périphérique selon les termes de la définition
- en préciser le type en fonction de la systématisation neurologique: dans la polynévrite, l'atteinte est bilatérale et symétrique contrairement à la multinévrite où l'atteinte est asymétrique dans des régions parfois éloignées
- noter la prédominance motrice ou sensitive, la prédominance de l'atteinte sensitive pour un mode ou un autre (l'atteinte des grosses fibres est ataxiante, celle des petites fibres atteint la sensibilité thermo-algique et dysautonomique)
EXAMENS COMPLEMENTAIRES:
1) Exploration électrophysiologique
Elle affirme la dénervation, en précise la topographie et le degré évolutif
La mesure des vitesses de conduction et de latence des réponses tardives permet de distinguer:
- les myélinopathies où les conductions sont très altérées, avec bloc de conduction dans les lésions segmentaires.
- les axonopathies et neuropathies où les conductions sont normales mais où les réponses motrices et sensitives chutent en amplitude du fait de la perte en fibres. La prédominance motrice ou sensitive est affirmée par l'examen.
2) Biopsie nerveuse dont l'indication doit être pesée car ce n'est pas un geste anodin
Elle est effectuée sur un rameau sensitif d'un membre inférieur. L'étude morphométrique et sur fibres dissociées précise au mieux le processus lésionnel.
Des lésions spécifiques peuvent être découvertes faisant le diagnostic: vascularite, dépôts d'immunoglobulines en immunofmuorescence (IF), amylose...
3) liquide cephalo-rachidien: aucun intérêt sauf cas particulier
4) Les autres examens diffèrent selon l'orientation diagnostique retrouvée
DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE des polynévrites
1) Polynévrites carentielles
a) polynévrite alcoolique (la plus fréquente en France): la toxicité de l'alcool associée à une carence en Vitamine B1 détermine une polynévrite sensitivo-motrice des membres inférieurs
Le début est marqué par des crampes nocturnes et des douleurs à type de brûlure
Les troubles sensitifs sont douloureux (anesthésie douloureuse)
Les troubles moteurs prédominent sur la loge antéro-externe de la jambe (steppage et extension du gros orteil)
Les troubles trophiques peuvent être importants, réalisant alors uneacropathie ulcéro-mutilante
- La notion d'un alcoolisme, d'une profession exposée, des autres complications de l'alcool font le diagnostic.
Le traitement repose sur l'arrêt de l'alcool, un régime hyperprotidique et de fortes doses de Vitamine B1 Intra-veineux (IV) puis par voie orale (po). Il fait connaître la possibilité de choc thiaminique.
b) Autres polynévrites carentielles Vitaminiques
* La carence en Vitamine B1 ou béri-béri fait suite à une malnutrition ou une malabsorption. Elle touche aussi le système nerveux central et le coeur.
* La carence en Vitamine PP ou pellagre est caractérisée par latriade dermatose/diarrhée/démence. La polynévrite est semblable à celle de la carence en VitB1.
* La carence en Vitamine B6 de l'Isoniazide (INH) se traduit par une polynévrite sensitive et douloureuse.
* La carence en Vitamine B12, par ex dans la maladie de Biermer, donne une polynévrite où les troubles sensitifs sont prédominants:ataxie ou anesthésie douloureuse. S'y associe une sclérose combinée de la moelle.
* La carence en folates se traduit par une polynévrite semblable associée à un syndrome cérébelleux.
2) Polynévrites métaboliques
a) polynévrite diabétique
Contrairement aux données classiques, lapolynévrite est plus fréquente que la multinévrite, de mécanisme plutôt métabolique que vasculaire.
C'est une polynévrite qui atteint la partie distale des fibres longuesaugmentant avec la durée d'évolution du diabète, mais pas toujours: c'est ainsi qu'une polynévrite peut être le mode de découverte d'un diabète...
La polynévrite sensitive est la plus fréquente. La forme ataxiquepar atteinte de la sensibilité profonde est un cas particulier. La forme classique associe anesthésie thermo-algique, dysautonomie et troubles trophiques (maux perforants plantaires et arthropathiesnerveuses).
La neuropathie dysautonomique est plus diffuse avec:hypotension orthostatique, impuissance, atonie vésicale, diarrhée motrice et troubles pupillaires.
b) polynévrite de l'insuffisance rénale chronique
Atteignant surtout les membres inférieurs et de type sensitive, elle peut être améliorée par la dialyse et la greffe. Les discrets troubles moteurs sont surtout distaux.
3) Polynévrites toxiques
a) Polynévrites médicamenteuse: axonopathie médicamenteuse
Les antimitotiquessont du typealcaloïdes de la pervenche oucisplatine. La polynévrite est dose-dépendante.
L'INH agit par le biais d'une carence en Vitamine B6 chez les acétyleurs lents
Les fortes doses de métronidazole ou le nitrofurantoïne lors d'une insuffisance rénale chronique peuvent induire une polynévrite.
L'AZT, le DDC et le DDI peuvent causer une polynévrite.
Citons le disulfirame utilisé pour le sevrage éthylique.
Les sels d'or, l'amiodarone et l'almitrine. Dans ce dernier cas, le traitement séquentiel diminue le risque de polynévrite.
Citons pour mémoire la Vitamine B6 à fortes doses.
b) Polynévrite par intoxication industrielle et environnementale: axonopathie et dégénérescence rétrograde
Le saturnisme se manifeste par des coliques, un liseré gingival, uneanémie sidéroblastique. La polynévrite est motrice atteignant les membres supérieurs, en particulier les extenseurs des doigts (paralysie pseudo-radiale). Les dosages de plomb dans le sang, les urines et le liquide cephalo-rachidien font le diagnostic. Le traitement consiste à précipiter le plomb dans les os à l'aide de calcium et de Vitamine D, puis à l'éliminer par l'EDTA.
L'arsenic et le thallium donnent une hyperkératose, des stries blanches des ongles et des troubles digestifs pour l'arsenic, unenévrite optique et une alopécie pour le thallium. La neuropathie semblable à la polynévrite alcoolique est retardée par rapport à ces manifestations. Une origine accidentelle ou criminelle doit être suspectée dans les 2 cas.
Le diagnostic repose sur le dosage de l'arsenic dans les urines et dans les cheveux permettant de dater l'intoxication. Le traitement est basé sur le BAL.
4) Polynévrites des hémopathies
a) Leucémie aigüe, syndromes myéloprolifératifs et lymphome
L'infiltration cellulairepeut déterminer une polynévrite qui prend alors l'aspect d'une polynévrite paranéoplasique, mais ce sont des situations rares.
b) Dysglobulinémie
Dans le myélome, la polynévrite est primitive ou secondaire à une amylose.
Dans la maladie de Waldenström, ce peut être un syndrome de Guillain-Barré, ou une polynévrite démyélinisante.
Les gammapathies monoclonales donnent des polynévrites physiopathologiquement et cliniquement différentes selon le type d'immunoglobuline:
|
action |
types de polynévrite (P) |
terrain |
Signes fonctionnels |
IgM |
démyélinisante par une activité anticorps dirigée contre la myéline |
- P sensitive ataxiante |
homme de 40 à 75ans |
ataxie, tremblement postural |
IgG |
lésion axonale ou démyélinisante |
- P sensitivo-motrice avec déficit moteur prédominant |
|
|
Ig : immunoglobuline
Le syndrome POEMS
5) Polynévrites infectieuses
a) VIH
Au stade précoce de l'infection VIH, on peut observer uneméningoradiculonévrite avec liquide clair à la ponction lombaire, ou un syndrome de Guillain Barré.
Les polynévrites axonales sont très fréquentes, plus tardives, donnant des troubles sensitifs et des douleurs violentes. Une polynévrite dysautonomique est possible.
Enfin, une infection à cytomégalovirus ou un lymphome peuvent déterminer une polynévrite.
b) Diphtérie
L'atteinte des nerfs crâniens est précoce, puis un tableau proche dusyndrome de Guillain Barré s'installe entre le 2° et 3°mois.
c) Botulisme
Il s'agit d'un blocage toxique de la sortie d'acétylcholine au niveau des terminaisons nerveuses.
Troubles oculomoteurs de la musculature intrinsèque avec mydriasearéactive, hyposialie, troubles de la phonation et de la déglutition, déficit moteur des muscles de la nuque et de la racine des membres.
- Evolution très variable. traitement symptomatique et injection d'antitoxine.
6) Polynévrites paranéoplasiques évoluant de façon indépendante par rapport au cancer
a) Forme sensitive subaiguë (syndrome de Denny-Brown)
La polynévrite douloureuse, ataxiqueet d'évolution rapide précède le cancer, le plus souvent un cancer à petites cellules. Une trace biologique est représentée par les anticorps anti-Hu.
b) Forme motrice subaiguë: les lymphomes malins non hodgkiniens enrémission
c) Forme sensitivo-motrice +++, associée aux cancers bronchopulmonaires et de type varié
7) Polynévrites héréditaires
a) Maladie de Charcot-Marie-Tooth, de transmission autosomique dominante
Il en existe 2 types: letype I de Dick démyélinisante, le type II de Dick axonale.
L'amyotrophie est dite en jarretière: pied creux, atrophie des jambes et du 1/3 inférieur de la cuisse.
b) Polynévrites sensitives héréditaires: tableau d'acropathie ulcéro-mutilante
c) Polynévrites amyloïdes
Polynévrite sensitive prédominant sur la sensibilité thermo-algique.
Troubles trophiques avec maux perforants plantaires.
Possible dysautonomie.
+ Atteinte cardiaque, rénale et digestive associée.
d) Porphyrie intermittente aiguë
La polynévrite évolue par poussées avec un tableau subocclusif initial, notamment favorisées par les barbituriques.
La polynévrite est à type de polyradiculonévrite motrice aboutissant à une quadriparésie surtout proximale.
Le moyens diagnostic de la porphyrie est la constatation d'urines rouges fonçant à la lumière renfermant du porphobilinogène et de l'uroporphyrine III.
DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE des multinévrites
1) Diabète
L'atteinte du cruralest la plus évocatrice avec début aigualgique.
Les multinévrites tronculairessurviennent dans leszones de compression: médian au canal carpien, cubital du coude, sciatique poplité externe au col du péroné. Elles témoignent d'une fragilité nerveuse particulière au cours du diabète.
La paralysie du nerf III se manifeste par une ophtalmoplégie brutale et douloureuse sans atteinte intrinsèque. Les nerfs VI et le VII peuvent être touchés.
La neuropathie motrice proximale survient au cours du diabète de type II non-traité: douleurs, déficit moteur et amyotrophie proximaux et asymétriques.
2) Maladies systémiques
a) périartérite noueuse
La multinévrite est plus fréquente que la polynévrite: évolution aiguë ou subaiguë, douleurs et paresthésie précèdent déficit moteur etamyotrophie, altération de l'état général avec fièvre.
Le diagnostic repose sur les autres manifestations de la périartérite noueuse, la mise en évidence d'un syndrome inflammatoire et d'une éosinophilie. La biopsie musculaire fait le diagnostic.
b) Autres maladies systémiques
Syndrome de Churg et Strauss: l'atteinte pulmonaire est prédominante.
Granulomatose de Wegener: idem et présence d'anticorps anticytoplasme des neutrophiles.
lupus erythémateux disséminé: multinévrite rare.
Polyarthrite rhumatoïde: dans le cadre de la forme avec vascularite.
Cryoglobulinémies: recherche systématique surtout s'il existe unRaynaud.
3) Multinévrites infectieuses
a) Lèpre: première cause de neuropathie au monde
Multinévrites surtout dans les zones de compression avec hypertrophie nerveuse palpable. Les plaques cutanées hypoesthésiques précèdent la multinévrite (cf cours spécifique).
b) Maladie de Lyme
méningoradiculonévrite algique et asymétrique. Le contexte clinique, le liquide clair de la ponction lombaire et surtout les sérologies font le diagnostic. Le traitement repose sur l'antibiothérapie.
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